Si j’avais porté un short, une jupe ou une robe, l’histoire aurait-elle été différente ?
Après la succession de plusieurs affaires qui soulevaient de véritables interrogations sur les mœurs de notre pays, j’ai du faire face à mes propres tourments. Cet été sera-t-il différent des autres ?
On agresse les filles en short, en robe et en jupe, mais est-ce que je pourrai continuer à porter mes fringues ? La rue ne m’appartient pas, je le sais, elle appartient à tout le monde. Tous les marocains y ont droit et ce sans que ça gène le reste des marocains. Mais pourquoi je ressens cette gêne, suivie d’une appréhension pesante, lorsque ma mère me demande de l’accompagner au souk. Je vérifie ce que je porte avec un soupçon d’instinct de survie. Je porte un large sarouel fleuri couleur pamplemousse. Ça passe pensais-je. Je redoute quelque chose, puis j’oubli, parle avec ma mère de sujets divers. Nous sommes au souk de Berkane. La chaleur stagne. On déambule entre les étales pour acheter fruits et légumes. On s’approche d’un étal, un tas de petites pèches y est éparpillé. Ma mère poursuit sa discussion tout en mettant les pèches dans un bol lorsque je sens quelque chose me caresser puis me tâter. Une main, deux gestes, un bref puis un autre plus affirmé se sont succédés sur ma fesse gauche. Je me retourne en criant en français. Je vois une petite tête ronde posée sur un grand corps mince et trapu. C’était celui qui m’avait touché. Les yeux couverts de lunettes à verre épais et l’allure tremblotante, il donnait l’impression d’être étonné de tout ce brouhaha pour si peu : mes cris l’interpellèrent. Après un instant d’hésitation, il finit par entrer en confrontation. Je l’insultais, posais des questions aux gens, à ma mère, à moi-même. Puis je le regardai. Le dégoût m’envahit à toute allure. Tandis que le calme se faisait autour de nous, ma mère et moi étions en pleine gesticulation publique. Il me dit de me taire a contrario de quoi, il me giflerait. Personne ne bougeait, le souk s’était apaisé, tourné vers ce nœud de tensions. Un homme lança en direction de ma mère et moi : « C’est ça le souk ! ». J’étais furieuse ! Pendant ce temps, la silhouette de mon agresseur s’effaçait peu à peu au loin. Il s’était tiré, tel un lâche, la tête courbée, en proférant des insultes à mon encontre. Mes fesses n’ont pas du lui plaire. Quelques minutes plus tard, le vendeur de pêches fit un bref discours sur la médiocrité de ce genre de comportement tout en implorant Dieu. La lâcheté, c’est ce dont a fait preuve l’assemblée qui a assisté à cet attouchement. Ils ont conforté cet homme lâche, médiocre et malade dans ses habitudes. La société, notre société, l’a soutenu. Elle l’a accepté et m’en a chassé. Elle a réprimé mes droits. Personne n’a cherché à me défendre. Ma cause était perdue d’avance. C’est les citoyens qui devraient faire preuve de civisme et expliquer à ce pervers où se situait le problème.
Je ne demande pas un lynchage mais je pose ouvertement ces questions : qui sommes-nous entrain de devenir ? Quel genre de société sommes-nous entrain de bâtir ? Fondée sur la lâcheté, le mensonge et l’intolérance ? Est-ce cela une société marocaine démocratique et musulmane ? Non ! Tandis qu’une mère et sa fille se font agresser à Tanger, que l’on tue un homme pour avoir volé à Casablanca, à Berkane on ne bouge pas le petit doigt. Personne ne bouge face à l’Islam utilisé comme prétexte pour justifier un meurtre et des insultes, mais on le passe sous silence lorsque ça nous arrange. Si j’avais porté un short, une jupe ou une robe, l’histoire aurait-elle été différente ?